Théâtre des Marronniers, Lyon
Théâtre de l'Iris, Villeurbanne
Il y a une dizaine d’années,un ami m’a fait lire une nouvelle étrange et fulgurante : JIM, l’histoire d’un vétéran de la guerre du Vietnam, poète vagabond qui échappe de peu à l’immolation, face à un cracheur de feu hypnotique qui exerce ses talents « maléfiques », sur les trottoirs de Mexico DF.
Ce récit d’à peine trois pages, extrait du recueil « LE GAUCHO INSUPPORTABLE » fut le début de mon engouement pour l’écrivain chilien Roberto Bolaño.
Dès le milieu des années 2000, les éditions Christian Bourgois avaient publié l’essentiel des œuvres de cet auteur prolixe, dans les excellentes traductions de Robert Amutio (Étoile Distante, Appels Téléphoniques, Nocturne du Chili, La Littérature Nazie en Amérique, Des Putains Meurtrières…).
Ces derniers mois, en lisant ses deux derniers romans posthumes : « Les Détectives Sauvages » et « 2666 », œuvres géniales, gigantesques et hallucinantes, de nouveau j’ai été replongé dans cet univers fascinant. C’est alors que j’ai eu le désir, l’envie d’entreprendre un travail théâtral à partir de Bolaño…
Relisant ses recueils de nouvelles, et après de nombreuses lectures à haute voix, mon choix s ‘est porté sur BUBA, un récit extrait du volume « Des Putains Meurtrières ».
BUBA est une nouvelle brève et dense écrite à la première personne du singulier, dans laquelle le héros et narrateur, Acevedo, évoque sur le ton de la confidence ses souvenirs de footballeur international.
Jeune sportif d’origine chilienne, qui après un temps bref en Argentine, rejoint le Barça, où il fait des débuts calamiteux. Grâce à sa relation amicale avec Buba, son coéquipier et colocataire africain, il devient un ailier gauche de premier plan de la ligue espagnole,
La concision de ce récit à suspens, écrit dans un style direct, qui se prête tour particulièrement à l’oralité,offre un enchaînement de situations, d’événements et de rebondissements dignes d’une comédie, teintée de mystère et de fantastique. Ici, le trouble rivalise avec l’étonnement.
Le héros n’est pas un intellectuel chilien en exil, ni un poète maudit, ni un vagabond métaphysique qui hantent souvent l’œuvre de Bolaño . Dès le début du récit, nous découvrons un homme sympathique et entre deux ages. Il nous raconte avec nostalgie le garçon timide qu’il a été, dans ce qu’on suppose être la fin des années 70 : un jeune homme qui préfère évoluer dans un club européen, loin des dictatures qui prolifèrent alors en Amérique Latine ; un jeune homme convalescent, suite à un accident du travail qui s’emmerde, a le blues du pays, qui trouve un peu de distraction devant la télé, et finalement, pour soigner sa blessure et conjurer sa dépression grandissante se console avec bonheur en allant « aux putes ».
On pourrait facilement imaginer que ce début ouvre la porte d’ une chronique people , avec call-girls, scènes de sexe, dopage, paris truqués, transferts douteux… Mais c’est sans compter sur l’arrivée de Buba au Barça,
Ce surgissement se manifeste à Acevedo, au cours d’un rêve prémonitoire qui nous transporte sur les rivages d’un réalisme magique singulièrement renouvelé. Buba va rapidement bouleverser la vie et la carrière de notre narrateur et aussi celles de son ami et coéquipier Herrera.
Le récit soudain bascule dans le mystère , le suspens, mais aussi le vertige de la gloire : la magie devient alors noire…avec ses rites que nos héros occidentaux ne comprennent pas et auxquels ils ne participent qu’à la marge en donnant un peu de leur sang. Buba, dépositaire de rites ancestraux, intrigue , inquiète et fascine ses camarades de jeu. Ils sont dans le secret de phénomènes dont ils ne perçoivent que les sons tonitruants à travers la porte de la salle de bains…Mais ils en redemandent, car là se trouve le sésame de leur gloire.
Le mystère se condense jusqu’à l’épilogue qui nous laisse dans l’énigme, face à une multitude de conclusions entre farce et mélancolie.
« La nouvelle débute comme une conversation de comptoir où des personnages tard dans leurs nuits échangent des confidences, avouent leurs tourments »écrivait Dominique Aussensac dans sa critique du « Gaucho Insupportable », parue dans Le Matricule des Anges en 2004. C’est en l’occurrence ce ton de la confidence qui m’a séduit, la voix d’Acevedo résonne dans la pénombre, il ne radote pas, ne soliloque pas non plus, il s’adresse à quelques personnes , des intimes, des journalistes, des compagnons de beuverie d’un soir? Une confidence qui invite à ce qu’on pourrait qualifier une théâtralité de la proximité.
On sent qu’Acevedo a un besoin impérieux de se confier . Si l’auteur ne nous indique ni où, ni quand se déroule le fil de cette confession, ce qui d’ailleurs ajoute à l’étrange, on peut aisément imaginer comme cadre, la table un peu salle d’une taverne, à une heure avancée de la nuit, sorte de cabaret imaginaire… ou bien le parking souterrain d’un palace de Barcelone où l’on distingue vaguement les chromes rutilants de voitures de luxe…, ou encore l’arrière boutique du magasin de sport à Santiago du Chili où notre ancien roi du stade semble couler une paisible retraite. Mais ne nous égarons pas, tous ces lieux ne peuvent être que suggérés, plus que représentés.
C’est à partir de cette amorce du récit, et de ces lieux insaisissables, de décors imaginés, que j’ai orienté mon travail de comédien.
Ce texte par la variété de ses registres se prête aisément à l’adaptation théâtrale. Il s’agit de faire entendre la voix d’Acevedo à la tonalité particulière, d’ incarner ce personnage qui s’exprime dans une langue simple.
Je souhaiterais articuler mon travail en deux étapes. D’abord le présenter dans l’intimité d’un petit lieu, dans un espace qui me permette de restituer et mettre en lumière les nuances et les inflexions les plus ténus du texte, dans une scénographie qui se limiterait à une chaise et une table basse, sur la quelle par exemple serait posée une bouteille de whisky, boisson de prédilection d’Acevedo.
Ensuite, j’envisage avec la complicité de D. Chaumard de l’inscrire dans une dimension scénique plus large dont les quelques éléments du décor ne seraient pas nécessairement réalistes mais plutôt évocateurs des lieux probables de cette confidence
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